Carré égal triangle

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Carré égal triangle
Julien Nédélec
exposition personnelle à la galerieACDC
du 07.05  au 18.06.11

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Opposer la sérialité désinhibante de l’œuvre à l’unicité asphyxiante de l’Art (avec un grand A), observer les formes du monde comme des objets mathématiques idéaux, jouer des équations établies pour mieux les renverser… Entamant directement le réel (que l’on nommera n), Julien Nédélec cerne les contours des formes et des théories, les découpe, les ajuste les uns aux autres à sa guise, puis les ré-assemble pour donner à voir un réel augmenté (n+1), ou diminué (n-1).

Mais glisser de n à n+1 ou n-1 n’est pas chose aisée. On ne passe pas comme ça de la troisième à la deuxième dimension, on ne dessine pas naturellement le cube que l’on a sous les yeux sur une feuille de papier… Trêve de logique. Dans 3D 2 2D 2 3D (2009), Julien Nédélec décompose en autant de prismes cubiques les contours d’un parallélépipède : il les fait « monter » en volume — un peu comme on fait monter des blancs en neige — suivant là les jongleries conceptuelles d’un Duchamp s’amusant à imaginer, avec le mathématicien Henri Poincaré, une quatrième dimension. Le dessin essentiel, idéal, devient un déploiement centripète de volumes qui, si l’on pousse la dynamique dimensionnelle à la vitesse supérieure, peut évoquer une juxtaposition de gratte-ciels dans un centre-ville à l’américaine… Tout est question de perspective.

Julien Nédélec, amateur de casse-tête, ne cherche pas les solutions, mais les problèmes, et opte pour la simplicité dès que les choses deviennent compliquées. Ainsi, s’il fait appel dans plusieurs œuvres à l’art de l’origami, l’artiste ne se soucie pas que du résultat — une sculpture réalisée à partir du pliage d’une unique feuille de papier —, mais plutôt de l’équation posée, à savoir, concrètement, la feuille elle-même (En 5 dimensions, en cours depuis 2009) et le tracé des pliures (Sculptures Pending, 2010). Le pli n’est qu’un autre mode d’exploration de nouvelles dimensions, une « montée » de la deuxième à la troisième dimension. C’est aussi, si l’on suit bien Deleuze, une exploration du temps.

Un temps qui ne serait donc pas linéaire ? Dans Cartons à dessin (Astérides) (2010), Julien Nédélec couvre un mur de cartons dessinés de motifs en étoiles (de mer), tous différents, mais reliés les uns aux autres. À la manière des motifs géométriques de l’art islamique, la contemplation et le décryptage de l’œuvre se font en fonction du temps qu’on leur accorde. Dans Vie et mort d’un stylo (2007), l’œuvre même est le temps. L’artiste vide un stylo de son encre, au fur et à mesure qu’il griffonne les pages d’un carnet : la temporalité est matérialisée ici par une ligne continue, qui peu à peu s’amenuise jusqu’à disparaître. L’équation tend vers l’infini (∞).

Une équation est un équilibre : de part et d’autre du signe « = » doivent être réparties des vérités qui se valent. Pour son exposition à la galerie ACDC, Julien Nédélec pose avec extravagance que « carré égale triangle »… Surgit alors une fois encore la question des équivalences, à partir notamment d’une réflexion sur le jeu de tangram. À l’origine de celui-ci, comme dans l’origami, on trouve un carré. Cette forme élémentaire est divisée en sept pièces, à partir desquelles des milliers de formes géométriques ou figuratives peuvent être composées. Les combinatoires sont potentiellement infinies. Le signe « ∞ » — dont l’artiste a par ailleurs fait un masque de Super-héros de l’infini (2009-2010) — est entré dans l’équation. Toutes les solutions deviennent possibles.

Magali Lesauvage

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avec le soutien du Centre National des Arts Plastiques (aide à la première exposition)
ministère de la culture et de la communication